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Camus and co
14 juillet 2012

VARGAS LLOSA - L'HOMME QUI PARLE

Roman publié en 1987 (Folio)

Extrait n°1

«  Les Schneil étaient diplômés, à l'instar des autres linguistes, de l'université de l'Oklahoma, mais ils étaient, avant tout, comme leurs collègues, animés par un projet spirituel: la diffusion de la Bible. Je ne sais au juste à quelle église ils appartenaient, car il y a parmi les linguistes de l'Institut diverses obédiences. L'intention qui les poussait à étudier les cultures primitives était religieuse: traduire la Bible dans ces langues afin que ces peuples pussent écouter la parole de Dieu selon les rythmes et les inflexions de leur propre musique [...] Le spectacle de la foi, solide, inébranlable, qui pousse un homme à lui consacrer sa vie et à accepter en son nom toutes sortes de sacrifice, m'a toujours à la fois ému et effrayé, car je lis dans cette attitude tout à la fois l'héroïsme et le fanatisme, l'altruisme et le crime. » (p102)

Extrait n°2

«  En Amazonie, par contre, c'est différent. Le grand traumatisme qui a transformé les Incas en peuple de somnanbules et de serfs ne s'est pas encore produit là-bas. Nous les avons harcelés, mais ils ne sont pas vaincus. Et nous savons bien maintenant ce que c'est atroce que d'amener le progrès à un peuple primitif et de vouloir le moderniser. Simplement cela signifie en finir avec lui. Ne commettons pas ce crime. Laissons-les avec leurs flèches, leurs plumes et leur nudité. Si tu les approches et les observes, avec respect, avec un peu de sympathie, tu te rends compte qu'il n'est pas juste de les traiter de barbares ni d'attardés. Pour le milieu où ils se trouvent, pour les circonstances dans lesquelles ils vivent, leur culture est suffisante. Et de plus, ils ont une connaissance profonde et subtile de choses que nous avons oubliées, nous. La relation de l'homme avec la nature par exemple. L'homme et l'arbre, l'homme et l'oiseau, l'homme et le fleuve, l'homme et la terre, l'homme et le ciel. L'homme et Dieu aussi. Cette harmonie qui existe entre eux et ces choses nous ne savons même pas ce que c'est, car nous l'avons brisée à tout jamais. » (p117)

Extrait n°3

«  Eh bien! Je ne sais plus si je crois ou si je ne crois pas en Dieu, mon vieux. C'est un des problèmes de notre culture si développée. Elle a fait de Dieu un élément superflu. Pour eux, Dieu c'est l'air, l'eau, la nourriture, une nécessité vitale, sans laquelle la vie ne serait pas possible. Ils sont plus spirituels que nous, si incroyable que cela te paraisse. Même les Machiguengas qui, par rapport aux autres, sont plutôt matérialistes. C'est pourquoi le mal que leur font ces gens de l'Institut est si grand, ils les privent de leurs dieux pour les remplacer par le leur, un Dieu abstrait qui ne leur sert à rien dans la vie quotidienne. » (p118)

Extrait n°4

«  Maintenant je me sens plus tranquille, me dit Tasurinchi, quand je pris congé d'eux, quelques lunes plus tard. Je n'aurais plus de rage, je crois. J'en ai eu de trop dernièrement. Plus maintenant, peut-être. J'ai bien fait de me mettre en marche, semble-t-il. Je le sens ici, dans la poitrine. - Comment as-tu su que tu devais t'en aller? Lui ai-je demandé. - Je me suis souvenu de quelque chose que j'ai su en naissant, m'a-t-il répondu. Oui, j'ai dû l'apprendre lors du tournis, peut-être. Si un malheur arrive sur la terre, c'est parce que les gens ne font plus attention à elle, parce qu'ils ne la soignent pas comme il faut la soigner. La terre peut-elle parler, comme nous? Pour dire ce qu'elle veut, il lui faut bien faire quelque chose. Trembler, peut-être. Ne m'oubliez pas dit-elle. Je ne veux pas qu'on me maltraite. C'est de cela qu'elle s'est plaint quand elle s'est secouée, tiens. Peut-être l'ai-je fait trop suer. Peut-être que les Pères blancs ne sont pas ce qu'ils ont l'air d'être, mais des kamagarinis alliés de Kientibakori, et en me conseillant de vivre toujours là ils voulaient que je fasse du mal à la terre. Qui sait? Mais, si elle se plaignait, je devais bien faire quelque chose, n'est-ce pas? Comment aidons-nous le soleil, les fleuves? Comment aidons-nous ce monde, et tout ce qui vit? En marchant. J'ai fait mon devoir, je crois. Et tu sais, cela donne déjà des résultats. Écoutes le sol sous tes pieds; foule-le, homme qui parle. Comme il est tranquille et ferme! Il est devenu content, maintenant qu'il nous sent à nouveau qui marchons sur lui. » (p257)C

 

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