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Camus and co
30 juillet 2014

KUNDERA - LA PLAISANTERIE

Roman publié en 1967 (Folio).

Extrait n°1

« Or, comme vous, Ludvik, ne croyez pas en Dieu, vous ne savez pas pardonner. Vous êtes obsédé par cette réunion plénière où des mains unanimes se levèrent contre vous, approuvant la ruine de votre vie. Vous ne leur avez jamais pardonné cela. Et pas seulement à chacun d’eux. Ils étaient là une centaine, soit un nombre susceptible de représenter une sorte de micro-modèle d’humanité. Vous n’avez jamais pardonné  au genre humain. Depuis lors, vous lui avez retiré votre confiance et lui prodiguez votre haine. Même si je puis vous comprendre, cela ne change rien au fait qu’une pareille haine vouée aux hommes est terrifiante et pécheresse. Elle est devenue votre malédiction. Car vivre dans un monde où nul n’est pardonné, où la rédemption est refusée, c’est comme vivre en enfer. Vous vivez en enfer, Ludvik, et vous me faites pitié. » (p344)

Extrait n°2

«  Dans la vanité du propos, je retrouvais Zemanek tel que je l'avais connu ; mais le contenu de ces mots m'avait effrayé : Zemanek semblait avoir radicalement abandonné son attitude d'autrefois, et si je vivais actuellement dans son entourage, je me trouverais, bon gré mal gré, de son côté. Et cela était horrible, à cela que je n'étais nullement préparé, encore qu'un tel changement d'attitude n'eût, certes, rien de prodigieux, au contraire, nombreux étaient ceux qui le subissaient, la société tout entière le vivait par degrés. Mais justement chez Zemanek je ne l'attendais pas ; dans ma mémoire il était demeuré pétrifié sous la forme où je l'avais vu pour la dernière fois et je lui déniais maintenant avec fureur le droit d'être autre que je l'avais connu. » (p395)

Extrait n°3

«  Oui, fit Zemanek, ils sont autres. Heureusement ils sont autres ! Et leur vocabulaire aussi, par bonheur. Nos succès ne les intéressent pas, nos fautes pas davantage. Tu ne le croiras pas, mais aux examens d’entrée en faculté, ces jeunes-là ne savent même plus ce que c’était que les procès de Moscou, Staline n’est plus qu’un nom pour eux. Rends-toi compte que la plupart d’entre eux ne savent même pas qu’il y a dix ans ont eu lieu les procès politiques à Prague.
 – C’est justement ça qui me semble abominable, dis-je.
 – Le fait est que ça ne prouve guère leur instruction. Mais là-dedans il y a pour eux une libération. Ils se sont fermés à notre monde à nous. Ils l’ont refusé en bloc.
 – Une cécité en remplace une autre.
 – Je ne dirais pas ça. Je les admire justement parce qu’ils sont différents de nous. Ils aiment leur corps. Nous l’avions négligé. Ils aiment les voyages. Nous nous encroûtions. Ils aiment les aventures. Nous avons perdu notre temps en réunions. Ils aiment le jazz. Nous avons sans succès copié le folklore. Ils s’occupent d’eux-mêmes. Nous voulions sauver le monde. Nous avons failli, avec notre messianisme, le détruire. Peut-être qu’avec leur égoïsme, eux le sauveront. » (p398)

Extrait n°4

«  Enfin le cymbalum se tut aussi et nous entourâmes Jaroslav qui me regarda et dit que tout ça c'était parce qu'on était restés là, que lui ne voulait pas rester, qu'il voulait qu'on s'en aille dans les champs, surtout que j'étais venu, surtout que j'étais revenu, on aurait pu si bien jouer à la belle étoile. "Ne parle pas tant, lui dis-je, c'est le calme qu'il te faut", et je songeais qu'en effet il se tirerait sans doute de cet infarctus, ainsi que le second violon l'avait prévu, mais que ce serait ensuite une vie changée du tout au tout, une vie sans dévouement passionné, sans jeu acharné dans l'orchestre, la seconde mi-temps, mi-temps après la défaite, et l'idée m'envahit qu'un destin souvent s'achève bien avant la mort, que le moment de la fin ne coïncide pas avec celui de la mort, et que le destin de Jaroslav était arrivé au bout. » (p454)

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