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Camus and co
20 août 2010

CAMUS - LE PREMIER HOMME

Oeuvre autobiographique en cours de rédaction par Camus lors de sa mort en 1960 (Folio).

Extrait n°1 (p46)

«  - Non, vous ne me devez pas grand chose. Pardonnez-moi seulement de ne pas savoir répondre parfois à votre affection ...
Malan regardait la grosse suspension à l'ancienne qui penchait au-dessus de la table, et sa voix se fit plus sourde pour dire ce que, quelques moments plus tard, seul dans le vent et le faubourg désert, Cormery entendait encore en lui-même sans trêve: Il y a en moi un vide affreux, une indifférence qui me fait mal ... »

Extrait n°2 (p93)

«  Elle disait oui, c'était peut-être non, il fallait remonter dans le temps à travers une mémoire enténébrée, rien n'était sûr. La mémoire des pauvres déjà est moins nourrie que celles des riches, elle a moins de repères aussi dans le temps d'une vie uniforme et grise. Bien sûr, il y a la mémoire du coeur dont on dit qu'elle est la plus sûre, mais le coeur s'use à la peine et au travail, il oublie vite sous le poids des fatigues. Le temps perdu ne se retrouve que chez les riches. Pour les pauvres, il marque seulement les traces vagues du chemin de la mort. Et puis, pour bien supporter, il ne faut pas trop se souvenir, il fallait se tenir tout près des jours, heure après heure, comme le faisait sa mère, un peu par force sans doute, puisque cette maladie de jeunesse l'avait laissée sourde et avec un embarras de parole, puis l'avait empêché d'apprendre ce qu'on enseigne même aux plus déshérités, et forcée donc à la résignation muette, mais c'était aussi la seule manière qu'elle ait trouvée de faire face à sa vie, et que pouvait-elle faire d'autre, qui à sa place aurait trouvé autre chose ? »

Extrait n°3 (p149)

«  Ni sa mère ni son oncle ne parlaient plus des parents disparus. Ni de ce père dont il cherchait les traces, ni des autres. Ils continuaient de vivre de la nécessité, bien qu'ils ne fussent plus dans le besoin, mais l'habitude était prise, et aussi une méfiance à l'égard de la vie, qu'ils aimaient animalement mais dont ils savaient par expérience qu'elle accouche régulièrement du malheur sans même avoir donné de signe qu'elles le portait. Et puis, tels qu'ils étaient tous deux autour de lui, silencieux et tassés sur eux-mêmes, vides de souvenirs et fidèles seulement à quelques images obscures, ils vivaient maintenant dans la proximité de la mort, c'est-à-dire toujours dans le présent. Il ne saurait jamais d'eux qui était son père et, quand bien même, par leur seule présence, ils rouvraient en lui des sources fraîches venues d'une enfance misérable et heureuse, il n'était pas sûr que ces souvenirs si riches, si jaillissants en lui, fussent vraiment fidèles à l'enfant qu'il avait été. Bien plus sûr au contraire qu'il devait en rester à deux ou à trois images privilégiées qui le réunissaient à eux, qui le fondaient à eux, qui supprimaient ce qu'il avait essayé d'être pendant tant d'années et le réduisaient enfin à l'être anonyme et aveugle qui s'était survécu pendant tant d'années à travers sa famille et qui faisait sa vrai noblesse. »

Extrait n°4 (p291)

«  Deux fois par jour, à midi et à six heures, Jacques se précipitait dehors, dévalait la rue en pente et sautait dans les trams bondés, garnis de grappes de voyageurs sur tous les marchepieds et qui ramenaient les travailleurs dans leur quartier. Serrés les uns contre les autres dans la chaleur lourde, ils étaient muets, les adultes et l'enfant, tournés vers la maison qui les attendait, transpirant calmement, résignés à cette vie partagée entre un travail sans âme, des longues allées et venues dans des trams inconfortables et pour finir un sommeil immédiat. Jacques avait toujours le coeur serré en les regardant certains soirs. Il n'avait connu jusque-là que les richesses et les joies de la pauvreté. Mais la chaleur, l'ennui, la fatigue lui révélaient sa malédiction, celle du travail bête à pleurer dont la monotonie interminable parvient à rendre en même temps les jours trop longs et la vie trop courte. »

Extrait n°5 (p320)

«  Il avait été le roi de la vie, couronné de dons éclatants, de désirs, de force, de joie et c'était de tout cela qu'il venait lui demandé pardon à elle, qui avait été l'esclave soumise des jours et de la vie, qui ne savait rien, n'avait rien désiré ni osé désirer et qui pourtant avait gardé intacte une vérité qu'il avait perdue et qui seule justifiait qu'on vive. »

Extrait n°6 (p365)

«  Rendez la terre. Donnez toute la terre aux pauvres, à ceux qui n'ont rien et qui sont si pauvres qu'ils n'ont jamais même désirer avoir et posséder, à ceux qui sont comme elle dans ce pays, l'immense troupe des misérables, la plupart arabes, quelques-uns français et qui vivent ou survivent ici par obstination et endurance, dans le seul honneur qui vaille au monde, celui des pauvres, donnez-leur la terre comme on donne ce qui est sacré à ceux qui sont sacrés, et moi alors, pauvre à nouveau et enfin, jeté dans le pire exil à la pointe du monde, je sourirai et mourrai content, sachant que sont enfin réunis sous le soleil de ma naissance la terre que j'ai tant aimée et ceux et celles que j'ai révérés. »

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