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Camus and co
22 août 2010

LONDON - L'AMOUR DE LA VIE

Recueil de nouvelles publié en 1907 (folio).

Extrait n°1 - L'amour de la vie

«  Mathilde qui, dans un geste d'exécration, avait levé les deux mains, même après la fuite de l'ennemi, les tint un instant devant ses yeux, stupéfaite qu'elles fussent violacées. Son cœur s'affolait, oiseau qu'on étouffe et dont les ailes battent plus vite, plus faiblement. Elle voulut voir de près mais ne vit plus ses ongles bleus déjà ... mais, même dans un tel excès d'angoisse, elle ne crut pas à l'éternité de cette nuit où elle venait de pénétrer : parce qu'elle était seule au monde, Mathilde ne savait pas qu'elle était au plus extrême bord de la vie. Si elle avait été aimée, des embrassements l'eussent obligée de s'arracher à l'étreinte du monde. Elle n'eut pas à se détacher n'ayant point connu d'attachement. Aucune voix solennelle à son chevet ne prononça le nom d'un Père peut-être terrible ni ne la menaça d'une miséricorde peut-être inexorable. Aucun visage en larmes et laissé en arrière ne lui permit de mesurer sa fuite glissant vers l'Ombre. Elle eut la mort douce de ceux qui ne sont pas aimés. » (p44)

Extrait n°2 - La manière des blancs

«  Il s'arrêta, regardant autour de lui comme pour trouver des mots qui adouciraient la sévérité de ce qu'il allait dire.
   - Mais le Blanc dit la vérité de différentes façons. Aujourd'hui il dit vrai d'une manière, demain il dira vrai d'une autre manière et il est difficile de le comprendre ou de comprendre sa façon.
   - Aujourd'hui dire la vérité d'une façon, demain la dire d'une autre, c'est mentir, conclut Zilla.
   - On ne peut pas comprendre le Blanc, continua Ebbits obstiné.
   La viande, le thé et le tabac semblaient l'avoir ramené à la vie, et il maîtrisa plus fermement son idée derrière ses yeux chassieux de vieillard. Il se redressa, se raidit, sa voix perdit sa note querelleuse et plaintive et devint ferme et positive. Il se tourna vers moi avec dignité et me parla comme un homme s'adresse à son égal.
   - Les yeux du blanc ne sont pas fermés, commença-t-il. Le Blanc voit toutes les choses, il pense profondément et est très sage. Mais le Blanc d'un jour n'est pas celui du lendemain et on ne peut pas le comprendre. Il ne fait pas toujours les choses de la même façon : ce que sera la prochaine action, on se sait pas. L'Indien fait toujours la même chose de la même façon. Le moose descend toujours des hautes montagnes quand l'hiver est ici : le saumon vient toujours au printemps lorsque la glace a disparu de la rivière. Chacun fait toutes les choses de la même façon, et l'Indien sait et comprend. Mais le Blanc ne fait pas de même et l'Indien ne sait ni ne comprend.
   Le tabac est très bon : c'est de la nourriture pour l'homme qui a faim. Il rend plus fort l'homme qui a faim. Il rend plus fort l'homme fort, et l'homme en colère oublie son courroux. Le tabac a ainsi une valeur, une grande valeur. L'Indien donne un gros saumon pour une feuille de tabac et il mâche le tabac pendant longtemps. C'est le jus du tabac qui est bon : lorsqu'il descend dans la gorge, il donne une agréable sensation en dedans. Mais le blanc ! Lorsque sa bouche est pleine du jus du tabac, que fait-il ? Ce jus d'une grande valeur, il le crache sur la neige, et il est perdu ? Est-ce que le Blanc aime le tabac ? Je ne sais pas. Mais s'il l'aime, pourquoi cracher sa valeur et le perdre dans la neige ? C'est une grande folie qu'on ne peut pas comprendre » (p90 à 91)

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