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Camus and co
22 août 2010

EINSTEIN - COMMENT JE VOIS LE MONDE

Ensemble d'articles et de textes scientifiques d'Einstein rassemblés et traduits en français en 1934.

La religiosité de la recherche

«  L'esprit scientifique, puissamment armé en sa méthode, n'existe pas sans la religiosité cosmique. Elle se distingue de la croyance des foules naïves qui envisagent Dieu comme un être dont on espère la mansuétude et dont on redoute la punition _ une espèce de sentiment exalté de même nature que les liens du fils avec le père _ comme un être aussi avec qui on établit des rapports personnels, si respectueux soient-ils.
   Mais le savant, lui, convaincu de la loi de causalité de tout évènement, déchiffre l'avenir et le passé soumis aux mêmes règles de nécessité et de déterminisme. La morale ne lui pose pas un problème avec les dieux, mais simplement avec les hommes. Sa religiosité consiste à s'étonner, à s'extasier devant l'harmonie des lois de la nature dévoilant une intelligence si supérieure que toutes les pensées humaines et toute leur ingéniosité ne peuvent révéler, face à elle, que leur néant dérisoire. Ce sentiment développe la règle dominante de sa vie, de son courage, dans la mesure où il surmonte la servitude des désirs égoïstes. Indubitablement, ce sentiment se compare à celui qui anima les esprits créateurs religieux dans tous les temps. » (p20)

Principes de la recherche

«  Mais d'abord en premier lieu, avec Schopenhauer, je m'imagine qu'une des motivations les plus puissantes qui incitent à une œuvre artistique ou scientifique, consiste en une volonté d'évasion du quotidien, dans sa rigueur cruelle et sa monotonie désespérante, en un besoin d'échapper aux chaînes des désirs propres éternellement instables. Cela pousse les êtres sensibles à se dégager de leur existence personnelle pour chercher l'univers de la contemplation et de la compréhension objectives. Cette motivation ressemble à la nostalgie qui attire le citadin loin de son environnement bruyant et compliqué vers les paisibles paysages de la haute montagne, où le regard vagabonde à travers une atmosphère calme et pure, et se perd dans les perspectives reposantes semblant avoir été créés pour l'éternité.
   A cette motivation d'ordre négatif s'en associe une autre plus positive. L'homme cherche à se former de quelque manière que ce soit, mais selon sa propre logique, une image du monde simple et claire. Ainsi surmonte-t-il l'univers du vécu parce qu'il s'efforce dans une certaine mesure de la remplacer par cette image. Chacun procède de cette manière, qu'il s'agisse d'un peintre, d'un poète, d'un philosophe spéculatif ou d'un physicien. A cette image et à sa réalisation il consacre l'essentiel de sa vie affective pour acquérir ainsi la paix et la force qu'il ne peut pas obtenir dans les limites trop restreintes de l'expérience tourbillonnantes et subjective. » (p122)

Sur la méthode de la physique théorique

«  Nous admirons la Grèce antique parce qu'elle a donné naissance à la science occidentale. Là, pour la première fois, a été inventé ce chef-d'œuvre de la pensée humaine, un système logique, c'est-à-dire tel que les propositions se déduisent les unes des autres avec une telle exactitude qu'aucune démonstration ne provoque de doute. C'est le système de la géométrie d'Euclide. Cette composition admirable de la raison humaine autorise l'esprit à prendre confiance en lui-même pour toute activité nouvelle. Et si quelqu'un, en l'éveil de son intelligence, n'a pas été capable de s'enthousiasmer pour une telle architecture, alors jamais il ne pourra réellement s'initier à la recherche théorique.
   Mais pour atteindre une science décrivant la réalité, il manquait encore une deuxième base fondamentale qui, jusqu'à Kepler et Galilée, resta ignorée de l'ensemble des philosophes. Car la pensée logique, par elle-même, ne peut offrir aucune connaissance tirée du monde de l'expérience. Or tout connaissance de la réalité vient de l'expérience et y renvoie. Et par le fait, des connaissances déduites par une voie purement logique, seraient, face à la réalité, strictement vides. C'est ainsi que Galilée grâce à cette connaissance empirique, et surtout parce qu'il s'est violemment battu pour l'imposer, devient le père de la physique moderne et probablement de toutes les sciences de la nature en général. » (p130)

Le problème de l'espace, de l'éther et du champ physique

«  Évidemment, dans le monde des concepts extra scientifiques, le concept d'espace a été pensé comme le concept d'une chose réelle. Mais la mathématique euclidienne ne définissait pas ce concept comme tel, elle préférait utiliser exclusivement les concepts d'objet et les relations de positions entre les objets. Le point, le plan, la droite, la distance représentent des objets corporels idéalisés. Toutes les relations de position sont exprimés par les relations de contact (intersection, de droites, de plans, positions de points sur les droites, ...). Dans ce système de concepts, l'espace en tant que continuum n'est jamais envisagé. Descartes, le premier, introduit ce concept en décrivant le point dans l'espace au moyen de ses coordonnées. Ici seulement nous voyons la naissance des formes géométriques et nous pouvons les penser en quelque sorte, comme des parties de l'espace infini conçu comme un continuum à trois dimensions. » (p148)

Jean Kepler (1)

«  Copernic initie les meilleurs chercheurs en soulignant que le meilleur moyen de comprendre et d'expliciter les mouvements apparents des planètes consiste à découvrir ces mouvements comme des révolutions autour d'un point supposé fixe, le soleil. Donc si le mouvement d'une planète autour du soleil comme centre était uniforme et circulaire, il devenait singulièrement facile de découvrir à partir de la terre l'aspect de ces mouvements. Mais, en réalité, les phénomènes sont plus complexes et le travail de l'observateur beaucoup plus délicat. Il faut d'abord déterminer ces mouvements empiriquement, en utilisant les tables d'observation de Tycho Brahé. Seulement après ce fastidieux travail il est possible d'envisager ou de rêver des lois générales auxquelles ces mouvements se plieraient.
   Mais ce travail d'observation des mouvements réels de révolution s'avère ardu et pour en prendre conscience, il faut méditer cette évidence. On n'observe jamais à un moment déterminé la place réelle d'une planète. On sait seulement dans quel direction elle est observée de la terre qui, elle-même, accomplit autour du soleil un mouvement d'une loi non encore découverte. Les difficultés semblent vraiment pratiquement insurmontables. » (p157)

Jean Kepler (2)

«  Kepler découvre ainsi la forme juste de l'orbite terrestre ainsi que la manière dont la terre l'accomplit. [...]
   Kepler cependant occupe sa vie à une deuxième question, complexe elle aussi. Les orbites, il les connaît empiriquement, mais leurs lois, il faut les déduire de ces résultats empiriques. Il va établir une supposition sur la nature mathématique de la courbe de l'orbite. Il va la vérifier au moyen d'énormes calculs numériques. Et si les résultats ne coïncident pas avec la supposition, il imaginera une autre hypothèse et il vérifiera de nouveau. Il exécutera de prodigieuses recherches. Et Kepler obtient un résultat conforme à l'hypothèse quand il imagine cela : l'orbite est une ellipse dont le soleil occupe un des foyers. Il trouve alors la loi d'après laquelle la vitesse varie pendant une révolution, au point que la ligne soleil-planète accomplit en des temps identiques des surfaces identiques. Enfin Kepler découvre que les carrés de durées de révolution sont proportionnels aux troisièmes puissances des grands axes d'ellipses. » (p160)

La mécanique de Newton et son influence sur la formation de la physique théorique (1)

«  Avant Newton, il n'existe aucun système complet de causalité physique capable d'envisager, même d'une manière quelconque, les faits les plus évidents et les plus répétés du monde de l'expérience. [...]
   Mais lui veur répondre à la question précise : existe-t-il une règle simple ? Si oui, pourrai-je calculer complètement le mouvement des corps célestes de notre système planétaire, à condition que l'état de mouvement de tous ces corps à un moment donné soit connu ? Le monde connaît les lois empiriques de Kepler sur le mouvement planétaire. Elles se fondent sur les observations de Tycho Brahé. Elles exigent une explication. Car aujourd'hui on réalise l'immensité de l'effort de l'esprit puisqu'il s'agit de déduire des lois à partir d'orbites empiriquement connues. Et peu de personnes apprécient réellement la géniale aventure de Kepler, quand il réussit en effet à déterminer les orbites réelles d'après les directions apparentes, c'est-à-dire observée depuis la terre. Certes ces lois fournissent une réponse satisfaisante à la question de savoir comment les planètes se déplacent autour du soleil : forme elliptique de l'orbite, égalité des aires balayées dans des temps égaux, relations entre demi-grands axes et les durées de parcours. Mais ces règles ne répondent pas au besoin d'explication causale. Car ce sont trois règles logiquement indépendantes l'une de l'autre, mais absolument dépourvues de toute connexion interne. Ainsi, la troisième loi ne peut pas, purement et simplement, être appliquée numériquement à un autre corps central que le soleil ! Par exemple, il n'existe aucune relation entre la durée de parcours d'une planète autour du soleil et celle d'un satellite autour de sa planète ! Le plus grave se dévoile là : ces lois concernent le mouvement en tant qu'ensemble. Elles ne répondent pas à la question : Comment de l'état de mouvement d'un système découle le mouvement qui lui succède immédiatement dans la durée ?. » (p162)

La mécanique de Newton et son influence sur la formation de la physique théorique (2)

«  Mais déjà la loi de Newton répond à la question précise : comment se manifeste l'état de mouvement d'un point matériel dans le temps infiniment petit, sous l'influence d'une force extérieure ? Car c'est uniquement en passant à l'observation du phénomène pendant un temps infiniment petit (loi différentielle) que Newton arrive à dégager les formules s'appliquant à des mouvements quelconques. Il utilise la notion de force que la statique a déjà développée. Pour rendre possible la liaison entre force et accélération, il introduit un nouveau concept, celui de masse. [...]
   Nous n'avions pas compris, même avec ce progrès, l'intelligence causale des phénomènes de mouvement. Car le mouvement n'est déterminé par l'équation du mouvement que lorsque la force apparaît. Newton, conditionné probablement par les lois du mouvement des planètes, a l'idée que la force agissant sur une masse est déterminée par la position de toutes les masses, se situant à une distance suffisamment petite de la masse en question. Dès que cette relation est connue, Newton connaît l'intelligence complète des phénomènes de mouvement. Tout le monde sait donc comment Newton, continuant l'analyse des lois du mouvement planétaire de Kepler, résout le dilemme par la gravitation, découvrant ainsi l'identité des forces motrices, celles qui agissent sur les astres et celles de la pesanteur. Voilà l'union de la loi du mouvement et de la loi de l'attraction, voilà le chef d'œuvre admirable de sa pensée. Car il permet de calculer, en partant de l'état d'un système fonctionnant à un moment donné, les états antérieurs et postérieurs, dans la mesure évidemment où les phénomènes se produisent sous l'action des forces de la gravitation. Le système de concepts de Newton présente une extrême cohérence logique puisqu'il ne découvre comme causes d'accélération des masses d'un système que ces masses mêmes. » (p164)

L'influence de Maxwell sur l'évolution de la réalité physique (1)

«  D'abord le système de Newton. La réalité physique se caractérise par les concepts d'espace, de temps, de points matériels, de force (l'équivalence de l'action entre les points matériels). Selon Newton, les phénomènes physiques doivent être interprétés comme des mouvements de points matériels dans l'espace, mouvements régis par des lois. Le point matériel, voilà le représentant exclusif de la réalité, quelle que soit la versatilité de la nature. Indéniablement les corps perceptibles ont donné naissance au concept de point matériel ; on se figurait le point matériel comme analogue aux corps mobiles, en supprimant dans les corps les attributs d'étendue, de forme, d'orientation dans l'espace, bref toutes les caractéristiques intrinsèques. On conservait l'inertie, la translation et on ajoutait le concept de force. Les corps matériels, transformés psychologiquement par la formation du concept point matériel, doivent désormais eux-mêmes être conçus comme des systèmes de points matériels. Ainsi donc ce système théorique dans sa structure fondamentale, se présente comme un système atomique et mécanique. Ainsi donc tous les phénomènes doivent être conçus au point de vue mécanique, c'est-à-dire de simples mouvements de points matériels soumis à la loi du mouvement de Newton. » (p171)

L'influence de Maxwell sur l'évolution de la réalité physique (2)

«  Mais oublions ce bilan pour n'étudier que la modification de Maxwell, quand il conçoit la nature du réel physique. Avant lui je conçois le réel physique _ c'est-à-dire je me représente les phénomènes de la nature ainsi _ comme un ensemble de points matériels. Quand il y a changement, les équations différentielles partielles décrivent et règlent les mouvements. Après lui, je conçois le réel physique comme représenté par des champs continus, non explicable mécaniquement mais réglés par des équations différentielles partielles. Cette modification de la conception du réel représente la révolution la plus radicale et la plus fructueuse pour la physique depuis Newton. » (p175)

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