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Camus and co
24 septembre 2011

MAURIAC - LE NOEUD DE VIPERES

Roman publié en 1933 (Le livre de poche).

Extrait n°1

«  Je regardais les vignes, sans répondre. Un doute me vint, à cette minute-là. Est-il possible, pendant près d'un demi-siècle, de n'observer qu'un seul côté de la créature qui partage notre vie? Se pourrait-il que nous fassions, par habitude, le tri de ses paroles et de ses gestes, ne retenant que ce qui nourrit nos griefs et entretient nos rancunes? Tendance fatale à simplifier les autres; élimination de tous les traits qui adouciraient la charge, qui rendraient plus humaine la caricature dont notre haine a besoin pour sa justification... » (p112)

Extrait n°2

« C'était risible et, en vérité, je riais seul, haletant un peu, appuyé contre un piquet de vigne, face aux pâles étendues de brume où des villages avec leurs églises, des routes et tous leurs peupliers avaient sombré. La lumière du couchant se frayait un difficile chemin jusqu'à ce monde enseveli. Je sentais, je voyais, je touchais mon crime. Il ne tenait pas tout entier dans ce hideux nid de vipères : haine de mes enfants, désir de vengeance, amour de l'argent; mais dans mon refus de chercher au-delà de ces vipères emmêlées. Je m'en étais tenu à ce noeud immonde comme s'il eut été mon coeur même, _ comme si les battements de ce coeur s'étaient confondus avec ces reptiles grouillants. Il ne m'avait pas suffi, au long d'un demi-siècle, de ne rien connaître en moi que ce qui n'était pas moi : j'en avais usé de même à l'égard des autres. De pauvres convoitises, sur la face de mes enfants, me fascinaient. La stupidité de Robert était ce qui m'apparaissait de lui, et je m'en tenais à cette apparence. Jamais l'aspect des autres ne s'offrit à moi comme ce qu'il faut crever, comme ce qu'il faut traverser pour les atteindre. C'était à trente ans, à quarante ans, que j'eusse dû faire cette découverte. Mais aujourd'hui, je suis un vieillard au coeur trop lent, et je regarde le dernier automne de ma vie endormir la vigne, l'engourdir de fumées et de rayons. Ceux que je devais aimer sont morts ; morts ceux qui auraient pu m'aimer. Et les survivants, je n'ai plus le temps, ni la force de tenter vers eux le voyage, de les redécouvrir. Il n'est rien en moi, jusqu'à ma voix, à mes gestes, à mon rire, qui n'appartienne au monstre que j'ai dressé contre le monde et à qui j'ai donné mon nom. » (p146)

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