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Camus and co
31 juillet 2014

HAWTHORNE - LA LETTRE ECARLATE

Roman publié en 1850 (Folio).

Extrait n°1

«  J’avais cessé d’être un médiocre écrivain pour devenir un médiocre inspecteur des Douanes et voilà tout. Tout de même, cela n’a rien d’agréable d’être hanté par l’impression que notre intelligence va s’évaporant comme l’éther hors d’un flacon. Le fait ne laissait nulle place au doute et en m’observant et observant les autres, j’étais entraîné, à propos de l’effet de la vie de bureau sur les caractères, à des conclusions bien peu favorables au mode de vie en question. Peut-être m’étendrai-je un jour là-dessus. Qu’il me suffise de faire remarquer, à présent, qu’un fonctionnaire de la Douane qui reste longtemps en place ne saurait guère être un personnage digne d’éloges et ceci pour plusieurs raisons. L’une d’entre elles est l’état de dépendance où il doit se résigner pour conserver sa situation et une autre la nature même de cette situation qui, tout en étant, je n’en doute pas, honorable, ne le fait pas participer aux efforts réunis de l’humanité.
   Tandis qu’il s’appuie sur le bras puissant de la République, la force personnelle d’un individu l’abandonne. S’il possède une part peu ordinaire d’énergie naturelle ou si la magie amollissante du fait d’être en place n’agit pas trop longtemps sur lui, ses facultés perdues peuvent lui revenir. Heureux le fonctionnaire destitué qu’une malveillante poussée renvoie de bonne heure lutter en un monde où tout est lutte ! Il peut redevenir lui-même. Mais ceci n’arrive que rarement. Il se maintient généralement juste assez longtemps en place pour que ce soit sa perte. Et il est alors jeté dehors avec des muscles amollis, pour chanceler tout au long du chemin de la vie. Conscient de son infirmité, il ne cessera plus de promener autour de lui un regard mélancolique qui quête un appui extérieur. Un espoir tenace l’imprègne, une façon d’hallucination qui lui fait tenir tête aux découragements, le hante sa vie durant et, j’imagine, semblable aux convulsions du choléra, l’agite encore un instant après sa mort : l’espoir que bientôt il finira, grâce à quelque heureux coup de hasard, par être réintégré dans sa place. Cet article de foi dépouille plus que toute autre chose, de toute vigueur et de toute chance de succès tout ce qu’il peut rêver d’entreprendre. Pourquoi suerait-il sang et eau pour se sortir de la boue quand, sous peu, le bras vigoureux de l’Oncle Sam viendra le relever et lui prêter appui ? Pourquoi irait-il faire le chercheur d’or en Californie quand il va bientôt être rendu si heureux par la petite pile de pièces brillantes sorties de la poche de ce bon oncle ? Il est tristement curieux de constater qu’une dose même très légère de vie de bureau suffit à infecter un pauvre diable de ce mal singulier. L’or de l’Oncle Sam – sans vouloir manquer de respect au digne vieux monsieur – est sous ce rapport semblable à l’or du diable : celui qui le touche doit prendre bien garde ou il pourrait lui en coûter, sinon son âme, du moins nombre de ses meilleures qualités : sa force, son énergie, sa persévérance, sa loyauté – enfin, tout ce qui donne du relief à un caractère viril. » (p70-71)

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